1 2 3 et hop, je hisse mon sac sur le dos et je ressent contre moi le poids de ma maison de ce soir. A l’intérieur, j’y ai glissé quelques une de mes peurs liées à ma condition, c’est ce qui fait son poids écrasant. Peur du froid, peur d’avoir faim, peur de manquer… Ce simple geste rappelle à mon corps toutes les nuits passées sous ma tente. Je ne le sens pas encore, mais bientot mes épaules et mes hanches souffrirons du contact avec ma maison mobile. Je me sens soudainement lourde, mais mon cœur est léger, il s’envole. Je referme le coffre et le son du verrouillage des portes m’emmène ailleurs et me fait quitter un monde. Je le laisse là sur le parking, et je apprête m’élever pour en rejoindre un autre.
Le temps d’une aventure en montagne, je tourne le dos au confort, je tourne le dos à une vie. Et je l’oublie… vite. Je sais que dans 1 nuit ou deux, je serais contente de retrouver ma voiture, poser mon sac crasseux dans le coffre, et m’assoir dans un siège moelleux, promesse d’un lit aux draps propre, promesse d’une assiette pleine et chaude et surtout de la douce chaleur d’une douche. L’eau chaude lavera toutes les peines que mon corps aura supporté et délassera mes épaules endolories.
Mais pour l’instant ce dont j’ai besoin, c’est la promesse du calme: ressentir l’énergie de la terre, la force de la montagne. Prendre le temps, oui prendre de le temps pour moi et mon appareil photo.
Je quitte ce monde trop rapide pour cette montagne acéré, là. Elle ne m’inspire pas forcément confiance, je sais qu’elle peut être aussi sournoise qu’envoutante. Je sais qu’avec elle je me poserais de nombreuses questions en examinant les nuages qui la coiffent. Je sais que cette petite aventure va m’aspirer toute entière pour m’aider à me déconnecter, à lâcher prise, à ne plus penser, et à trouver l’inspiration.
Je ressert les sangles de mon sac à dos pour qu’il repose sur mes hanches et non sur mes épaules et je marche. J’adapte ma démarche à ma charge. Je ne me retourne pas pour regarder le monde que je quitte car j’ai hâte de ne plus le voir. J’avance un pas après l’autre. Je lève la tête souvent pour regarder ce qui m’attend. Je surveille le paysage, guète les lumières, l’appareil photo à la main, mon but est de ramener quelques jolies photos de cette montagne.
Je commence la montée, je ressent mon corps tout entier. Mes pieds, mes chaussures sont-elle assez serrées? Ne surtout pas me faire une cheville! Mes mollets et mes cuisses se mettent en route. Mes bras aussi font leur job. Ils m’aident a trouver l’équilibre sur ce sentier technique. Mes abdominaux supportent la charge pour alléger ma colonne vertébrale, mes épaules elles ont de quoi s’occuper. Tout le reste de mon corps travaille à leur épargner un peu de leur charge.
J’aime tellement cette sensation. Je commence ma marche et je me remémore toutes ces fois ou j’ai eut envie de pleurer en rentrant à la voiture, l’envie que cette expérience dure plus longtemps. Je me rappelle ma 1ere longue marche en Islande, mon voyage photo initiatique, celui qui m’a fait changer de regard sur le monde et sur ma vie. Je me revoit assise à l’aéroport, regardant mon sac avec mélancolie. J’ai pleuré lorsque je l’ai rangé. Aujourd’hui il est de retour à sa place, sur mon dos. Aujourd’hui ce sac fait partit de ma vie et de mon équilibre.
Je me concentre sur mon souffle, je doit marcher à pas lent. Combien de fois me suis-je épuisée trop vite pour suivre le rythme de mes compagnons de marche? Maintenant, l’expérience m’a appris: suivre Ma voix, Mon rythme et me mettre dans ma bulle. Le début de la marche est souvent déroutant. C’est difficile, le souffle est court, et mon spot de bivouac me semble tellement loin et inaccessible. La montée s’accentue, le chemin se raidit en même temps que mon esprit. C’est trop dure, je ne vais pas y arriver. Pourquoi je fait ça déjà?
30 minutes se sont écoulées. Mon esprit va mieux, mon corps aussi. Il est en marche. Mes muscles se réchauffent. Il est temps d’enlever des couches, si j’ai trop chaud ce sera plus dure.
Plus je m’éloigne du monde d’en bas, et plus mon esprit se sent léger, lui aussi se débarrasse de quelques couches. Les responsabilités, les enfants, les factures, le réchauffement climatique, le Covid. Ce soir je dormirais un peu plus près des étoiles, un peu plus près de moi-même aussi. Ce soir je vais vivre, ressentir, respirer. Je n’aurais pas la frustration de devoir redescendre. Le bivouac me permet de faire durer le plaisir et profiter de la montagne d’une manière égoïste. Je ne la partagerais pas, elle sera pour moi et m’offrira ses plus beaux moments, ses plus belles couleurs et si j’ai de la chance elle me fera quelques surprises, et j’espère pouvoir rapporter une belle photo de montagne à mettre sur mon mur. Des animaux peut être? Un joli levé de lune? des nuages effilochées sur les sommets?
J’arrive sur mon spot de Bivouac. Ah mon dieu qu’il est bon de poser son sac. Un coup d’œil contemplatif à ce paysage qui s’offre à moi. Je me sens soulagée d’être arrivée et heureuse de pouvoir y rester. Un coup d’œil aux alentours pour m’assurer de ma solitude. Non… Une autre tente là bas. Bon… on partagera cet endroit, en essayant de ne pas se croiser trop souvent. J’installe ma chambre. L’endroit est trop humide pour dormir à la belle étoile. J’espère que je n’aurais pas trop froid cette nuit. Ma plus grande ennemie en bivouac c’est l’humidité, je sais qu’à elle seule, elle peut me faire vivre un enfer si le froid s’en mêle.
Je profite des lumières crépusculaires. Je jette un coup d’œil en bas, j’aperçois la vallée et les lumières de la ville, les voitures sur l’autoroute, la vie a continué sans moi. Je songe à ce nid d’asticots qui grouille sous mes yeux, je songe à la folie qui y règne, je ne veux pas redescendre, je suis si bien ici. La seule chose que j’aimerais pouvoir mettre dans mon sac dos c’est le moelleux de mon lit et la chaleur de ma couette. Je me glisse dans mon duvet… Je ferme les yeux.
Je repense à cette belle journée. J’aime ce bruit que fait ma tente les soirs de vent, le couinement de mon matelas quand je me tourne, et la sensation que j’aurais en petit matin, lorsque j’entendrais le zip de ma tente et un regard inquiet sur le ciel.
Hummm la douce fraicheur du matin sur mon visage au réveil. Boire mon café soluble devant cette vue incroyable, cela valait bien ma nuit moyennement confortable, cela valait bien tout l’or du monde. Je m’extirpe de la chaleur de mon duvet pour faire chauffer l’eau, et je bois goulument cette boisson aux saveurs de monde moderne, je me réveille et me réchauffe. Les rayons du soleil m’atteignent maintenant et me font un bien fou. J’ai attendu ce moment précieux toute la nuit. Aucune parole n’est nécessaire, je profite encore de ces moments.
Bientôt je redescendrais, bientot je reprendrais ma vie J’enlacerais mes enfants avec bonheur. Je sentirais l’odeur de leur cou, serait couverte de câlins et de bisous. Le bonheur de les retrouver sera encore plus grand que celui de les avoir quitté. J’aurais l’impression de revenir de loin, alors que je n’étais qu’à quelques heures de marche.
Mon esprit se sent apaisé, lavé de ce qui le tourmentait, je suis de retour avec vous mes chéries, je suis là. Je suis intensément là.
J’avais besoin de ce moment à moi.
2 Comments
Superbe récit. C’est tellement cela. Du coup j’ai envie d’y retourner….
[…] Bref… Un âne est vraiment un compagnon idéal quand on veux faire plusieurs jours de marche avec des enfants. Il les motive à marcher et aide les parents à porter… En fait… Je me demande comment m’en passer maintenant! Mes épaules les remercient chaleureusement! Ça change tellement des bivouacs ou je porte Ma maison sur le dos !! […]